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La critique de l’avant-veille (10) & un auteur rouge de honte

Les critiques contemporains n’ont pas nécessairement le dernier mot, mais précisément parce qu’ils auront eu le premier, il est rarement vain d’aller voir ce qu’ils écrivirent en leur temps d’une œuvre devenue un classique, ou pas.

Dixième épisode de notre feuilleton critique autour de Brás, etc. d’Alcântara Machado, avec l’une des rares recensions un peu mitigées par un goût plutôt conservateur, et compromise par un point de vue passablement académique sur le mouvement moderniste. Une «bonne critique», en réalité, dont l’auteur se fût passé, comme on le verra dans un extrait de sa correspondance donné en appendice.


Auteurs et livres

par

Carlos D. Fernandes


L’esthétique des futuristes semble inspirée d’un vieux précepte d’Horace : — Esto brevis et placebis. Du moins peut-on caractériser les écrivains par leur préoccupation de dépouiller leurs récits en vers ou en prose de tout accessoire pittoresque ou explicatif, qui leur paraît pléonastique et dispensable. D’où la brièveté des phrases, souvent réduites à un simple mot ; l’emploi fréquent de métonymies ; les ellipses, les onomatopées. Eh bien, cet artifice peut être une ressource, mais pas une méthode d’écriture, ce qui aurait pour conséquence l’obscurité et l’imprécision des jugements.

Le livre de M. Alcântara Machado se ressent selon moi de ce défaut, lequel est, d’ailleurs, l’apanage et l’excès de la nouvelle école.

Pour une meilleure compréhension et comme sa circulation n’est pas circonscrite à São Paulo, la critique passéiste, qui connaît les modèles classiques et subsiste à cette condition, doit suppléer à un certain nombre de lacunes pour rendre l’œuvre accessible à l’entendement commun. Ainsi, en commençant par le titre, Brás, Bexiga et Barra Funda sont les quartiers de São Paulo où se concentre la plus grande population urbaine d’immigrés italiens. La préface d’Alcântara Machado, assurément fort ingénieuse, qui apparaît comme un éditorial, puisque ce livre serait à l’origine un journal, raconte et condense l’ethnologie brésilienne, résultat de la fusion des fameuses races tristes, qui aujourd’hui encore se montrent les plus joyeuses et divertissantes de toutes : le Portugais, bavard, moqueur et communicatif ; l’Africain, joueur de batuque et de maracatu ; l’Indien brésilien, qui ne dédaigne pas son maracá, son trocano, ses plumes, ses colliers décoratifs.

De ces trois populations différentes, deux étrangères et une autochtone, procédèrent les premiers métis, qu’Alcântara Machado appelle mamalucos, en détournant le mot de sa graphie première, dérivée de l’arabe mamluk, comme le disent Larousse et Candido de Figueiredo.

Quoi qu’il en soit, ces premiers descendants peuplèrent et civilisèrent le Brésil, jusqu’à l’arrivée des Italiens, qui engendrèrent de nouvelles fournées de mamalucos. C’est de cette famille intrépide de Brésiliens sui generis, les plus beaux, les plus intelligents, les plus entreprenants de notre patrie, descendants de Romulus, de Maria da Fonte, de «mái preta» et de Moema, que sont tissées les nouvelles de l’écrivain de São Paulo. Au-delà de la nouveauté, de la bizarrerie d’école, Alcântara Machado présente la plus tangible et la plus indubitable originalité : nous révéler le tempérament, la psychologie, les mœurs, les tendances d’une singulière sociogénie parfaitement autonome au sein de la normalité de la communion brésilienne. Sa matière première est vierge et ses récits ne manquent pas d’être curieux, caricaturaux, intéressants. Certains se différencient même des procédés futuristes et rappellent Maxime Gorki et Kipling, par la sobriété des tons, par l’acuité psychologique.

Ainsi de «Amour et sang», une eau-forte napolitaine, avec un épilogue de camorra ; et de «La société», tout entier entremêlé de locutions italiennes, plein de dialogues comiques qui présentent la vanité et le chauvinisme logiquement opposés aux graves, aux implacables intérêts patrimoniaux. Tel est le concept de la nouvelle, que l’on peut inférer de son intrigue confuse et syncopée.

Certains épisodes épigrammatiques, des allusions critiques, des contrastes imprévus complètent le dessin des personnages. La langue portugaise est de bonne qualité, tout au plus entachée ça et là de solécismes lexicaux et syntaxiques, que le futurisme utilise comme des instantanés de la personnalité humaine.


Trad. A. C.


(Source : Carlos D. Fernandes, « Autores e livros » [extrait],

O Paiz, Rio de Janeiro, 5 mai 1927, p. 1.)


*


Lettre d’Alcântara Machado à Prudente de Morais Neto

(extrait)


10 mai [19]27


[...]

Carlos D. Fernandes est vraiment un âne, Sainte Vierge ! Les futuristes suivent le conseil d’Horace — mais quel idiot ! Les éloges d’un homme pareil sont une humiliation. Je suis effondré par ce qu’il m’a fait. Heureusement il a été bien tiède. Chaleureux, je me suicidais. Je le jure sur la littérature.

[...]

Alcântara

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