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La critique de l’avant-veille (9): João Ribeiro, de l’Académie

Les critiques contemporains n’ont pas nécessairement le dernier mot, mais précisément parce qu’ils auront eu le premier, il est rarement vain d’aller voir ce qu’ils écrivirent en leur temps d’une œuvre devenue un classique, ou pas.

Neuvième épisode de notre feuilleton critique autour de Brás, etc. d’Alcântara Machado, avec ce fameux article signé par le doyen de la critique brésilienne, João Ribeiro, de l’Académie. Une recension dont l’auteur eut toutes les raisons de se réjouir, comme il l’écrivit dans une lettre à l’ami Prudente de Morais Neto, donnée en appendice.


Chronique littéraire

par

João Ribeiro


C’est réellement un écrivain exceptionnel qui nous donne, à la manière des anciens chroniqueurs, un traité du Brésil, mais du Brésil nouveau et différent qui se développe en pays pauliste.

De la ville violente et chaotique, il a choisi les quartiers bilingues, les siamois du peuple gris, incertain et indécis, avant le terme, avant la chute ombilicale du brassage.

Dans ma tâche de critique, à ce bas niveau qu’on appelle la recension ou l’enregistrement de la littérature courante, sans arguties psychologiques et sans intention d’exposer les courants doctrinaux et esthétiques de notre époque, j’ai toujours été fasciné par l’audace des hommes jeunes qui ont tenté et tentent encore de différencier nos manières de sentir, de penser et d’écrire.

Pour moi, la régénération ne se fera qu’au prix de l’absolu renoncement aux modèles européens, dans l’horreur de l’imitation des formules et des écoles ultramarines, portugaises autrefois et par la suite françaises, en se rappelant comment furent oubliées, longtemps et criminellement, les sources légitimes de l’inspiration nationale.

Le livre d’Alcântara Machado est un grand exemple de la littérature nouvelle dont j’entrevois le triomphe, du moins dans la phase actuelle de nos lettres.

Qu’a fait Alcântara Machado ?

Il a cherché et trouvé une veine aurifère dans la progressive et intense sédimentation de la nationalité.

Il n’a pas souhaité prendre connaissance du caboclo ou du sertanejo, ni de l’Indien problématique et absurde. Il n’a pas été et il n’était pas besoin d’aller bien loin.

Devant sa porte, il a découvert son trésor si ignoré des gens ignares qui passaient.

Vivant dans une ville moderne, tremblante et bouillonnante de continuelles vibrations de recomposition, il a découvert la population nouvelle qui faisait son apparition, graine de futurs grands et incertains.

À São Paulo, qui est son terrain d’expérimentation, il a trouvé la couche nouvelle, encore un peu éruptive et violente, qui commence, après une génération, à se sédimenter…

C’est la couche italo-brésilienne, qui répète en Amérique la conquête romaine un peu civilisée, sans cette obsession du cloaque de l’Anglais, dans la phrase injuste de son ennemi James Joyce dans l’admirable Ulysse.

L’Italien travaille, croit à son mythe de la ville éternelle et porte sur le dos son Vésuve (voyez la nouvelle «Amour et sang»), et parfois ressuscite la Calabre, civilisée et machiavélique :

«Parlo comme ça pour faciliter. C’est pas pour vous offenser. Primo, docteur, réfléchissez bien. E poi donnez-moi votre réponse. Domani, dopodomani, la semaine prochaine, quand vous voudrez. Io resto à votre disposition. Ma réfléchissez bien !»

Cette néo-psyché subtile est propre à l’âme italienne d’aujourd’hui, qui divise et sous-divise chaque chose.

Gastão da Cunha me disait un jour que dans les transports italiens il y a le train expresso, le rapido, le più accelerato et l’acceleratissimo, toujours plus cher et peut-être plus lent.

J’ai été quelque temps en Italie et comme j’en suis nostalgique ! mais la seule chose qui m’a impressionné c’est qu’en matière de degré il y avait le primo, le primo distinto et le primissimo. L’unité italienne, si glorieuse, doit beaucoup à ces intrigues arithmétiques, diplomatiques et militaires.

Le livre d’Alcântara Machado comporte cette façon nouvelle, ténue, du premier schiste, encore mince, de l’Italo-Brésilien.

Brás, Bexiga et Barra Funda est bien le livre qui nous révèle ce monde intéressant, transparent et ectoplasmique, qui sort de l’illusion pour entrer dans la réalité.

Dans son «Éditorial», il y a la chanson, signe des nouveaux temps :


L’Italien s’écrie

Le Brésilien dit

Vive le Brésil

Et le drapeau de l’Italie !


La rime est comme le foie greffé en voie d’adaptation. Que dire des histoires qui composent le livre ? Elles sont toutes magnifiques : «Gaetaninho» qui a cogné le tram, «Carmela», l’amoureuse futile et accomodante, «Caserne de réservistes», ordre du jour pauliste, pluie et soleil dans «Amour et sang», qui fait penser à un épisode des Malavoglia, «La société», grande petite page, «Lisetta», à la grâce infantile, «Corinthians vs Palestra» et un etc. pour résumer l’énumération, qui serait fastidieuse l’omission du texte, dont la lecture est pour tous une obligation civile.

Le livre est dédié aux Italo-Brésiliens qui ont émergé de la vague d’immigration pour la gloire de la nouvelle patrie.

Et ce n’est pas un livre fait seulement pour le plaisir du lecteur ordinaire. Il intéresse l’historien, l’ethnographe, le linguiste, le folkloriste, qui cherchent à définir les nuances du nouveau Brésil. Et c’est dans la littérature, par le document indirect, que l’on connaît avec une plus grande fidélité la civilisation interne, entre les murs de la fourmilière humaine.

Brás, Bexiga et Barra Funda marquera une phase dans l’histoire de la nouvelle brésilienne.


Trad. A. C.


(Source : João Ribeiro, «Crônica literária» [extrait],

Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, 4 mai 1927, p. 6.

Recueilli dans : J. Ribeiro, Crítica, vol. IX : Os modernos, éd. de Múcio Leão,

RJ, Academia Brasileira de Letras, 1952, p. 314-317.)


*


Lettre d’Alcântara Machado à Prudente de Morais Neto

(extrait)


6 mai [1927]


Mon Prudente ! Tu te rends pas compte. À peine avais-je avalé la critique de Janot Ribeiro […] que j’ai mis les pouces aux entournures de mon gilet, j’ai secoué mon corps, me suis avancé devant le miroir, ai esquissé un déhanchement de joie et crié : On est les meilleurs !

Comme Oswald le fit un beau jour à Paris.

Note que j’ai dit : On est les meilleurs ! Et pas : Je suis le meilleur ! Car moi je n’ai pas d’importance. Que ce soit dans la critique du vieux ou en-dehors. C’est donc clair. Ce qui est important c’est la révolte de la génération.

Regarde comme c’est merveilleux. Nous avançons. Bien. En donnant des coups de poing et des coups de bâton. Fort bien. Et tout à coup surgit de la tranchée ennemie un petit vieillard qui s’écrie : Par ici, les gars ! Frappez-les ! Abattez ces ânes-là !

N’est-ce pas formidable ? Bon sang, si ça l’est !

Car il ne faut pas oublier que João Ribeiro Fernandes est né à Laranjeiras (État de Sergipe) le 24 juin 1860. Ça va donc faire 67 ans qu’il assiste à la salvation de la littérature brésilienne «dans l’horreur de l’imitation des formules et des écoles ultramarines».

Embrasse-le de ma part et répète avec moi : On est les meilleurs !

[…]

Alcântara

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