“C’est une façon de voir”: 4 notules sur Horizon carré de Huidobro
- antoinechareyre4
- 3 déc. 2024
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Dernière mise à jour : 18 mai
L’œuvre poétique française de Vicente Huidobro (1893-1948), chilien si l’on veut, n’a cessé de se faufiler parmi nos avant-gardes, du cubisme au surréalisme en passant par le dadaïsme et tout un « esprit nouveau » parisien et cosmopolite. Las, elle ne rencontra en général que de rares et brefs échos critiques.
Ainsi du recueil inaugural de la première étape française, issu en partie de premières publications dans la revue Nord-Sud, et première manifestation à proprement parler de la poétique « créationniste ». Édité par l’auteur et achevé d’imprimer chez Paul Birault en décembre 1917, avec un tirage de tête de 19 exemplaires ornés en frontispice d’un dessin original de Juan Gris, et 250 exemplaires non numérotés, Horizon carré n’eut guère l’honneur — exception faite d’un long article de Louis de Gonzague-Frick — que des quatre notules qui suivent, dont une écrite par Apollinaire, s’il vous plaît.
Les lettres
[extrait]
Horizon carré, par Vicente Huidobro. — Horizon carré ? C’est une façon de voir, et elle est aussi défendable que celle de l’espace à n dimensions. Le tout c’est d’être poète et de ne pas se laisser mener par un procédé.
M. Huidobro qui, autrefois, écrivait en espagnol et dont c’est le premier livre en français, est poète. Il est capable, croyons-nous, de profonde poésie. Il y a dans son livre des mots d’angoisse qui restent, mais trop de petites impressions qui, elles, ont peine à faire une grande poésie. Des images parfois fausses (aéroplanes qui s’allaitent à la lune), quelquefois irréelles comme des images d’opium, et souvent amusantes et futiles (ta tête pend de la fumée de ton cigare).
L’Intransigeant, Paris, 23 mars 1918, p. 2.
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Quelques livres
[extrait]
Horizon carré de Huidobro. C’est le livre d’un vrai poète, frère spirituel de Laforgue, de Verlaine, de Rimbaud, mais la note de « Joie » y est bien plus forte. Des images, des trouvailles, et tout cela dans une langue simple. Maintenant, pourquoi cela s’appelle-t-il « Nunisme » ? Est-ce à cause d’une typographie extravagante, que les Nunistes, d’ailleurs, n’ont même pas inventée, puisque Mallarmé voulait réaliser dans un Livre absolu l’aspiration extrême de son esthétique, livre écrit avec une typographie de ce genre ?... Ou bien est-ce parce que ce livre a été créé par le poète Comme un fruit est créé par l’arbre, formule qui a le tort de s’appliquer à tout comme elle peut s’appliquer à rien, ainsi d’ailleurs que toutes les formules ? Mais il me plaît de ne pas discuter ici les théories d’une chapelle fermée, de prendre chaque livre comme l’expression d’un individu et de juger en ce sens Horizon carré, comme étant l’œuvre d’un vrai poète.
Les Lettres parisiennes, 1re année, n°1,
Paris, 1er juin 1918, p. 23-24.
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Les lettres
Ouvrages récents
[extrait]
par M.-C. P
— L’Espagnol Huidobro ne parvient pas à être aussi original qu’il le souhaite à coup sûr dans son Horizon carré. Il est simplement bizarre (il y a une nuance). Et il serait original s’il le voulait car il a des qualités de poète… Mais au fait, si la charade lyrico-typographique qu’il nous présente formait un simple recueil composé selon la tradition, il n’y aurait peut-être plus rien du tout que quelques impressions banales. Je me méfie toujours un peu des étrangers qui veulent totalement renouveler notre esthétique !
Le Pays, Paris, 14 juin 1918.
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Chronique des livres
par
F. Jolibois
[Guillaume Apollinaire]
Dans Horizon carré, M. Vincent Huidobro a donné la mesure d’un talent déjà très exercé.
La qualité d’Espagnol d’Amérique et le fait qu’il ait choisi la voie de la poésie moderne ont fait dire que les nouvelles théories permettaient d’être poète français sans savoir le français. Où a-t-on pris cela ? On en a dit autant de la théorie des Parnassiens. Il suffisait de choisir des mots sonores ou poétiques, de les entremêler de termes abstraits pour être poète. C’était une erreur. Car les seuls dignes de ce nom parmi les Parnassiens furent ceux qui étaient vraiment poètes et la qualité d’Américain, qui appartenait à José-Maria de Heredia, ne l’a pas empêché d’atteindre la perfection idéale de l’école à laquelle il se rattachait.
Les Arts à Paris, n°2, Paris, 15 juillet 1918.
